- KONZERN
- KONZERNÀ l’époque moderne, la concentration des entreprises a pris, en Allemagne, la forme de Konzern (le mot était traduit en français au début du siècle par consortium ; l’expression allemande a prévalu).Un konzern est un groupe d’entreprises, juridiquement indépendantes, mais réunies en fait sous une direction unique. Son but n’est pas de monopoliser un marché particulier, mais, en règle générale, de former un ensemble en intégrant verticalement des productions situées en amont et en aval du secteur originel de l’entreprise autour de laquelle s’établit le konzern.L’importance des konzerns ne vient pas seulement de ce qu’ils ont constitué dès l’origine l’armature de l’industrie et du développement économique allemands. Leurs liens avec l’État ont toujours été très étroits. C’est à ce titre qu’ils ont été sanctionnés au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Mais l’évolution économique, et notamment les nécessités d’un monde où la dimension n’est plus nationale mais continentale (Marché commun) et même mondiale poussent dans le sens d’une concentration toujours plus accentuée: nombre de grands groupes industriels allemands de 1970 existaient déjà comme konzerns puissants en 1930, ou même avant 1914.Caractéristiques des konzernsLa loi allemande du 30 janvier 1937 sur les sociétés anonymes définit un konzern de la manière suivante: «Un konzern est un groupe d’entreprises, juridiquement indépendantes, mais réunies dans des buts économiques sous une direction unique.»À cette caractéristique juridique (le maintien de l’indépendance formelle des entreprises constitutives) s’ajoute, en règle générale, une caractéristique économique: le konzern tend à la concentration verticale, en amont, en s’assurant une base de matières premières et, en aval, par la création ou l’acquisition d’entreprises capables de transformer ses produits jusqu’au stade terminal, et même de les transporter et de les distribuer. En règle générale, un konzern ne recherche pas à monopoliser un marché déterminé mais plutôt à être présent, dans une proportion importante, à tous les stades de la production.En cela le konzern s’oppose au trust américain, dont le but est le monopole dans une branche particulière.En revanche, le conglomérat se rapproche du konzern. Mais le conglomérat supprime l’indépendance des entreprises qu’il absorbe; surtout il se borne à rechercher les occasions profitables en recourant, pour ce faire, à certaines procédures financières parfois contestables, sans véritable souci de constituer une unité économique complète, comme l’est le konzern.Le lien entre les entreprises constituant le konzern revêt une pluralité de formes. En effet, la solidarité établie entre ces entreprises peut être technique, commerciale, financière, rester une situation de fait (principalement par des participations croisées) ou donner lieu à la signature d’un contrat. La loi allemande sur les sociétés par actions du 6 septembre 1965 distingue les contrats de domination et les contrats de transferts de bénéfices. On rencontre également, mais moins fréquemment, la communauté de profit; l’I. G. Farben, le grand konzern, quasi monopolistique, de l’industrie chimique, dissous en 1945, revêtait cette forme; I.G. signifiait Interessen Gemeinschaft , communauté d’intérêt dans laquelle les sociétés constitutives réunissaient leurs profits et se les répartissaient dans certaines proportions fixées d’avance. La loi allemande prévoit également la formule de l’annexion d’une société (A) par une autre (B): A pourra annexer B si A détient 95 p. 100 au moins des actions de B; B reste juridiquement indépendante mais ne l’est plus économiquement.Origine et évolution jusqu’en 1945Les premiers konzerns allemands ont une origine familiale. Ils sont le résultat de l’action d’un entrepreneur dynamique (au sens donné à ce mot par J. Schumpeter: «capable d’innover»), qui est sorti de son secteur initial pour réaliser, en amont et en aval, de nouvelles combinaisons profitables. La seconde génération a, en général, recueilli le flambeau, la troisième confiant l’administration du konzern à des managers qui ont maintenu l’élan initial.La formation des konzerns dans la sidérurgieLa maison Krupp constitue le plus connu des grands konzerns. Créée en 1812, l’aciérie Krupp s’est spécialisée dans la production de métal de qualité pour l’armement et le matériel de chemins de fer. Son essor date de la guerre de 1870, Alfred Krupp achète des charbonnages, des mines de fer auprès desquelles il construit des hauts fourneaux. Il acquiert une entreprise de blindage et les chantiers navals Germania de Hambourg. À la mort du troisième Krupp, en 1902, l’entreprise devient société par actions dont le conseil d’administration est présidé par Alfred Hugenberg. C’est lui qui adjoint à Krupp des entreprises d’édition, de presse et de cinéma.Thyssen est un autre exemple de konzern sidérurgique. En 1871, August Thyssen installe près de Mülheim sur la Ruhr une fabrique de fers plats, située, par conséquent, entre la fabrication de l’acier et celle des produits finis. Son élargissement systématique commence en 1855: en amont, Thyssen acquiert progressivement un domaine charbonnier dont l’étendue finit par devenir comparable au bassin du Pas-de-Calais. Il se procure du minerai de fer en Lorraine, en Afrique du Nord, en Russie. En aval, Thyssen agrandit ses ateliers de construction mécanique, s’empare de deux chantiers navals (Brême, Flensburg), distribue du gaz et de l’électricité, et parachève le tout par de robustes organisations commerciales.Le konzern Stinnes part du commerce en gros de charbon pour passer à l’acquisition de mines, de sociétés métallurgiques (Deutsche-Luxemburg, notamment) et électriques; il fonde en 1920 une communauté d’intérêt avec le konzern électrique Siemens.Une telle concentration n’aurait pu se faire sans des moyens financiers appropriés. Le rôle des banques allemandes, elles-mêmes très concentrées, a été, à cet égard, déterminant.La Première Guerre mondiale et la grande inflationLa guerre de 1914-1918, par les nombreux profits qu’elle permit, et l’après-guerre donnèrent une impulsion nouvelle au mouvement de concentration. Apparemment, l’après-guerre aurait dû être néfaste aux konzerns, privés des minerais lorrains et russes (la Deutsche-Luxemburg perd 60 p. 100 de son approvisionnement en fer brut et en houille) et empêchés de poursuivre des fabrications de guerre. En fait, tant l’inflation de guerre que les indemnités obtenues après 1918 du fait de leurs pertes en Lorraine et au Luxembourg apportèrent aux grands konzerns d’importants fonds liquides. Les konzerns employèrent ces fonds à développer leur emprise sur l’économie allemande. En amont, notamment, ils y étaient incités par la coupure de leurs sources traditionnelles d’approvisionnement. Les formations verticales furent, comme le dit H. Stinnes, «filles de la nécessité». Tant l’inflation que le gouvernement de Weimar encourageaient à suivre cette voie: acheter des installations représentait un investissement plus sûr que de conserver des marks-papier. 1923, l’année de l’hyper-inflation, voit la concentration devenir frénétique. Quant à l’État, il prescrivait de réemployer les indemnités distribuées à la reconstitution ou à l’achat d’usines, et avantageait ces réemplois sur le plan fiscal.Une telle politique ne pouvait manquer de réduire dangereusement la liquidité des konzerns. On le vit lors de la stabilisation de la monnaie qui fut fatale à un certain nombre de regroupements: ainsi, le konzern Stinnes s’effondra en 1926. Alors, le problème n’était plus tant de se procurer des matières premières en absorbant les entreprises d’aval, mais bien de trouver des débouchés. Aussi, le mouvement de concentration des entreprises se ralentit au profit d’un renouveau de la cartellisation de l’économie. Toutefois, en 1925 furent fondés l’I. G. Farben et, en 1926, à l’instigation de l’ancien manager du konzern Stinnes, A. Vögler, les Vereignigte Stahlwerke, fruit de la fusion de cinq konzerns sidérurgiques. En 1926, les V.S. produisaient le quart de la fonte, le cinquième de l’acier et le douzième du charbon allemands. La cartellisation se fit d’ailleurs au profit des grands konzerns: ainsi dans le cartel de l’acier brut, les konzerns détinrent 95 p. 100 de la production, et, dans les quatre plus grands groupes sidérurgiques, la moitié.Le national-socialismeÀ la veille de l’avènement du régime hitlérien, en 1930, presque la moitié des sociétés par actions (4 060 sur 9 634) étaient intégrées à des degrés divers dans des konzerns; ceux-ci contrôlaient près de 85 p. 100 du capital nominal de l’industrie allemande. La République de Weimar avait tenté, vainement, de limiter la progression des pouvoirs des konzerns (ordonnance sur les cartels du 2 novembre 1923). Le IIIe Reich les favorisa au contraire: un rapport officiel de l’époque affirme que l’«idée de konzern [...] est conforme à la conception économique du national-socialisme». Le Führer-prinzip introduit dans les sociétés anonymes (loi du 30 janv. 1937, qui définit les konzerns, comme on l’a vu plus haut) permet le développement de la domination des grandes entreprises, dans une économie où les cartels sont obligatoires depuis 1933. Non content de renforcer les konzerns existants qui peuvent reprendre leurs productions de guerre (Krupp), le IIIe Reich donne naissance à des konzerns d’État (Hibernia, Viag, H. Göring). La politique ainsi menée se traduit dans les chiffres suivants: en 1938, six konzerns produisaient à eux seuls, en Allemagne, 95 p. 100 de l’acier, 98 p. 100 de la fonte et contrôlaient 42 p. 100 de la production charbonnière de la Ruhr.La Seconde Guerre mondiale permit aux grands konzerns d’étendre leurs activités à toute l’Europe occupée: Krupp, Flick prirent le contrôle des sidérurgies lorraine et belge, Flick exploita celle du Dniepr; l’industrie chimique européenne passa sous la domination de l’I. G. Farben.Le passage à la dimension européenneLes liens entretenus entre le régime hitlérien et les konzerns, dès l’avènement du premier, conduisirent les Alliés vainqueurs à prévoir dans l’accord de Potsdam «qu’à une date aussi rapprochée que possible l’économie allemande serait décentralisée pour éliminer l’excessive concentration actuelle de la puissance économique caractérisée particulièrement par les cartels, syndicats patronaux, trusts et autres formes de monopoles» (art. 12). Les efforts des Alliés portèrent principalement sur la dissolution des konzerns. Dès 1945, I. G. Farben et Krupp furent mis sous séquestre. Mais la division de l’Allemagne en quatre zones d’occupation alliée, et surtout la coupure de plus en plus nette entre la zone soviétique et les trois zones occidentales entraînèrent des politiques très diverses en matière de déconcentration. À l’Est, on assista à des démantèlements d’usines, à la constitution de sociétés soviétiques pour l’exploitation des équipements restés sur place, et surtout à la nationalisation des entreprises regroupées en trust. À l’Ouest, en 1947, «les concentrations économiques excessives» sont interdites. Mais l’application de ce principe par des gouvernements soucieux de protéger la propriété privée s’avéra singulièrement difficile: structures parfois très enchevêtrées des konzerns, présence d’intérêts étrangers, dispersion du capital social de certains groupes, enfin et probablement surtout, avec le refroidissement des relations avec l’U.R.S.S., nécessité de permettre le relèvement de l’Allemagne occidentale. Les autorités américaines insistèrent pour conserver une structure rationnelle et rentable à l’industrie allemande.Les plans alliés prévoyaient, d’une part, de réduire considérablement la liaison charbonnages-sidérurgie en obligeant les gros actionnaires à vendre une partie de leurs participations dans un délai donné (1959) et, d’autre part, de diviser les neuf plus grands konzerns sidérurgiques en vingt-cinq nouvelles sociétés indépendantes. L’entrée en vigueur de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (C.E.C.A.), la même année, a rendu sans objet les contrôles alliés, désormais exercés par la Haute Autorité.Depuis 1950, on peut distinguer deux étapes dans l’état d’esprit des autorités allemandes envers la concentration des entreprises. La première décennie est encore marquée, au moins sur le plan juridique, par le legs de l’immédiat après-guerre, hostile à la concentration. C’est ainsi que furent préparées, et définitivement votées, en 1952 la «cogestion» dans les mines et la sidérurgie et, en 1957, la loi sur les pratiques restrictives de la concurrence, créant notamment un Office fédéral des ententes. C’est le même esprit qui a inspiré le vote à l’unanimité, par le Bundestag, en 1960, d’une enquête sur la concentration dans l’économie. Dans le même temps, toutefois, la législation fiscale restait favorable aux groupes.Le passage à la dimension européenne de l’économie allemande, partie intégrante de la Communauté économique européenne, et le «défi américain» ont conduit à une révision, dans un sens moins défavorable, de l’attitude officielle envers la concentration. La Société unique des charbonnages de la Ruhr a ainsi été constituée en 1969 sous l’égide de la «grande coalition» entre le Parti social-démocrate et la démocratie chrétienne.En tout état de cause, le rapport de l’enquête de 1960, publié en 1964, et portant sur la période 1945-1960, a montré que le mouvement de concentration s’était poursuivi en Allemagne; malgré la conjoncture politique, la concentration au sein de grands groupes est restée la règle. Le rapport fait aussi ressortir que « si l’on retient comme critère de la notion de groupe, une participation en capital de plus de 50 p. 100, il apparaît que les cent plus grands groupes d’entreprises englobaient, en 1954, 541 entreprises industrielles allemandes et 25 étrangères». En 1960, les chiffres correspondants étaient de 634 et 88. Ce mouvement avait permis aux cent plus grands groupes industriels de porter leur part du chiffre d’affaires global de l’industrie allemande, au cours de la période, de 27,4 à 31,2 p. 100, et leur part dans le total des exportations de 40 à 50 p. 100. S’y ajoutaient, en dehors de l’industrie, plus de neuf cents autres sociétés et une centaine de holdings.Il n’existe pas de statistiques comparables depuis 1960, mais il semble probable que le mouvement s’est poursuivi.En Europe, l’Allemagne est un pays de groupes géants: en 1965, trente des cinq cents plus grandes entreprises mondiales du classement annuel de la revue Fortune étaient allemandes (contre 23 en France). L’Allemagne est ainsi particulièrement bien placée: pour la métallurgie, (Hœsch, Krupp, Thyssen), la chimie (Hœchst, Bayer, B.A.S.F.), la construction de machines (Demag) et de véhicules automobiles (Daimler-Benz), la construction électrique (A.E.G., Siemens). On y retrouve plusieurs des grands konzerns nés avant 1930, et même avant 1900.Depuis lors, toutefois, la dépression économique a mis à mal la sidérurgie et un géant comme A.E.G. Par ailleurs, l’Office fédéral des ententes a fait reparler de lui en 1982-1983 lorsqu’il a bloqué la prise de contrôle de Grundig, premier groupe allemand de l’électronique grand public, par le groupe français nationalisé Thomson-Brandt. Le but de cette prise de contrôle était de pouvoir concurrencer efficacement le Japon sur le marché en grand développement du magnétoscope. Mais Thomson était déjà présent en Allemagne et Grundig devant alors reprendre Telefunken (filiale grand public d’A.E.G.), l’ensemble aurait détenu 40 à 45 p. 100 du marché, soit une position dominante. Aussi l’office s’est opposé au rachat de Grundig. Thomson a alors été amené à reprendre Telefunken... et à faire accord avec les Japonais.⇒KONZERN, subst. masc.ÉCON. POL. Groupe d'entreprises, juridiquement indépendantes, liées entre elles selon une forme d'intégration et de concentration économique pratiquée en Allemagne surtout après la Première Guerre mondiale. À l'origine, le konzern était une forme d'intégration groupant sous une direction unique des établissements se rapportant à un même processus de production (ROMEUF, t. 2, 1958). Un konzern est un groupe d'entreprises (...) réunies en fait sous une direction unique. Son but n'est pas de monopoliser un marché particulier, mais, en règle générale, de former un ensemble en intégrant verticalement des productions situées en amont et en aval du secteur original de l'entreprise autour de laquelle s'établit le konzern (Encyclop. univ., t. 9, 1972, p. 699).Prononc. et Orth. : [
]. LESOURD, GÉRARD, Hist. écon., 1966, pp. 335-336, au plur. : konzerns. Étymol. et Hist. 1924 (Revue des Deux Mondes, t. 19, p. 864). Mot all. signifiant propr. « consortium » et dont l'extension comme terme d'écon. pol. date de la guerre de 1914-18. L'all. Konzern est lui-même empr. à l'angl. concern « société commerciale » (1681 ds NED).
konzern [kɔ̃tsɛʀn] n. m.ÉTYM. V. 1920-1923 (1924, in Revue des Deux Mondes, T. L. F.); mot all., « consortium », de l'angl. concern, attesté en 1881.❖♦ Écon., hist. Forme d'intégration économique pratiquée en Allemagne, après la guerre de 1914-1918; société organisée selon cette forme. ⇒ Cartel, trust.0 En Allemagne (…) l'intégration a pris une extension considérable. Dans la période 1920-1923, se créent plusieurs entreprises gigantesques : les konzerns. Le konzern était une société puissante (…) qui exploitait une série d'entreprises se rattachant à un même processus de production.G. Pirou, Traité d'économie politique, t. I, p. 159.
Encyclopédie Universelle. 2012.